LYANNAJ

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Lyannaj : espaces queer du care dans la France postcoloniale

Lyannaj est un projet photographique autour des espaces d’affirmation queer dans la France postcoloniale. Il a été réalisé dans le cadre du programme Radioscopie de France porté par la BNF et le Ministère de la Culture.

Chaque année, une multitude des personnes lgbtqia+ issues du Sud Global, à la fois les anciennes colonies françaises mais aussi d’autres régions du monde s’installent à Paris et en région parisienne pour vivre plus librement leur identité sexuelle ou de genre, et fuir les stigmatisations, voire les persécutions dont iels peuvent être victimes dans leurs territoires d’origine.

Leur statut est très varié : parmi iels, des Francais.e.s issu.e.s des «Outre-mers», des Français.e.s issues des migrations subsahariennes, des personnes migrantes en provenance du Sud Global et de l’Europe de l’Est. Des subjectivités très différentes mais aussi reliées par des points communs : être queer dans un monde hétéronormé et se déplacer, voire fuir, à partir de cette expérience subalterne partagée.

Ce projet vise à mettre en lumière leurs trajectoires et leurs stratégies d’affirmation sous le prisme intersectionnel des multiples assignations auxquelles elles peuvent être confrontées (être queer, être racisé.e, être migrant.e, demandeur d’asile, réfugié.e…)  à la fois dans le pays de naissance mais aussi dans le pays d’accueil.

Dans ce contexte et malgré une augmentation sensible des actes homo-transphobes en France relevés dans les dernières années, des nouveaux espaces de sociabilité et d’affirmation de soi voient le jour, portés par le milieu associatif et militant ou par des groupes d’artistes, comme ceux et celles de la culture du ballroom  et des houses  ou encore les activités menées par le Centre Lgbtq+ de Paris et la Pride des Banlieus.

Dans ces espaces du care, on s’attache à prendre soin les un.e.s des autres, par des pratiques d’alliance ou, comme on dirait en créole, de lyannaj.
J’emprunte ce terme à la langue créole à travers la pensée du philosophe et commissaire Dénétem Touam Bona. En Créole, Lyannaj signifie « faire lien, allier et rallier » et faire référence à la notion d’alliance qui traverse et organise certains espaces historiques et contemporaines de résistance et de marronnage. Transposée à l’expérience queer, elle nous permet de penser les espaces queer du « care » et du soin, dans leur dimension politique d’aide, d’amitié et d’allégeance.

Leur résonance avec les communautés marronnes est d’autant plus forte car, le plus souvent, ces espaces et leurs pratiques produisent un contre-discours en marge du système, l’expérience queer se déployant principalement à l’abri des regards, dans un régime d’invisibilité.

Ces espaces ne me sont pas étrangères. Je les côtoie et je les photographie, à des moments différents, depuis mes débuts dans la photographie en 2003.

A cet égard, les photographiés ici présentées, éclatées dans le temps et dans l’espace, outre à constituer une mémoire personnelle, ont vocation à implémenter une archive photographique queer qui reste encore en grand partie à construire.

À la demande des personnes photographiés, certaines de ces photographies réalisées ont été inclues aux dossiers instruits pour la demande d’asile auprès de l’Ofpra, l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides pour appuyer la demande du demandeur d’asile. Toujours sur demande de personnes photographiées, j’ai également produit des attestations de participation au projet Lyannaj, utilisés également comme des « preuves » de l’histoire personnelle afin de l’entretien avec l’Ofpra. Contre toute attente, certaines photographies ont permis d’appuyer le dossier de l’Ofpra en faveur d’une reconnaissance du droit à l’asile.

Nicola Lo Calzo